CHAMBLAS RÊVEIL
Extrait du carnet de route :
« Arrivé par le train et le bus, dans la journée de jeudi 8 oct., je suis accueilli chez C. et C. qui ont tout fait pour organiser une rencontre au top. Une soirée d’acclimatation, où je croise un magnétiseur/cueilleur de châtaignes, une copine de Manitas de Platas qui raconte ses souvenirs et sa passion nouvelle pour les murs à la chaux, un peu d’histoire de Taiwan car avant de revenir élever des chevaux en Ardèche C. et C. s’y sont rencontrés...
Puis la journée du vendredi est studieuse, on envoie des mails, on passe des coups de fils et je vais à l’épicerie coopérative, la plaque tournante de la vallée, lieu de circuit court, d’échanges, de rencontres, un lieu de vie quoi… Là, il y a J. qui retape sa grange et qui dessine, qui comprend ma démarche, qui raconte un peu sa vision des choses, qui écoute déjà amicalement la mienne, nos chemins se croisent, nos idées se rejoignent… puis N. et S. qui font le pain, qui fendent le bois à la force des bras, qui se fournissent en blés anciens et rares chez des producteurs bio, qui d’ailleurs viennent d’arriver pour la livraison et prennent le temps d’un café, note mon numéro et acceptent un disque à écouter plus tard, peut-être bien que j’irai leur rendre visite… Le café, c’est offert, le pique nique est autorisé, la connexion wifi est bien pratique pour jeter un œil à la boîte mail, mes envois ont-ils éveillé la curiosité ?
Grosse sieste dans l’après-midi après une courte balade dans les châtaignerais. Faut évacuer la fatigue du voyage. Je sors la guit. et je fais une liste de chansons pour le soir. Je commencerai par « Qui a tué Steve Maïa Caniço », même si c’est triste.
Beaucoup de monde se présente pour le concert. C’est incroyable comme la vie est présente et comme l’appétit de se retrouver est fort. C’est palpable. Pourtant, à dix minutes de là, dans un autre village, il y a un autre spectacle, officiel, encore un groupe arrivera plus tard car voulant faire les deux soirées et je chanterai deux fois, deux ambiances, deux horaires…
Très beau concert, enfin, ce n’est pas à moi de le dire, mais quand même, je me suis fait plaisir, ça compte… Je distribue mon numéro de téléphone, les soirées de la semaine prochaine vont s’organiser. On me promet de me rappeler. « Demain midi, tu manges à la maison lancent M. G. en nous quittant, c’est la première maison du hameau en bas de la route.
- J’accepte, oui, merci !
Samedi matin au café, j’organise la journée, je vais voir une conférence gesticulée sur la sécurité sociale alimentaire dans la cour d’un château médiéval. M.G. et A. m’accompagnent, on emmène C . et M. , le co-voiturage, ici, c’est pas de la comédie. Le site est fabuleux, conférence intéressante, je sors la guitare à la sauvage, j’explique que je cherche des points de chute pour tournée le plus longtemps possible en Ardèche, ça intéresse et je distribue encore mon téléphone puis je vais avec M. en ville pour passer la soirée ensemble, il écrit des chansons, il milite aussi, on a des milliards de choses à se raconter…
Aujourd’hui c’est relâche. Je suis de retour chez C. et C. et demain matin, je file un coup de main pour changer les vaches de prés. On me donne l’occasion d’être utile. Mercredi 14, c’est bloqué rue des Chats, jeudi 15, c’est un peu plus haut dans la vallée, puis vendredi 16, au bord de la rivière dans un bar associatif. Mon pote A.M. me rejoint en camion et je ferai avec lui un tour en Lozère, samedi 17, il y a une fête où mon tour de chant est le cadeau d’anniversaire !!! ». On dirait que ça prend, il fait très beau et j’ai le cœur léger, peut-être est-ce un truc qui démarre et qui va me balader un moment… »
Sur le plateau, à une heure de route, il neige. On a fait le tour du parc pour vérifier les clôtures, puis on a balisé le chemin pour guider vaches et ânes sur un nouveau pâturage. Tornado et toute sa famille déboulent de la montagne au galop quand on les appelle pour un peu de pain et deux caresses. Faut quand même éviter que les juments te caressent en retour, avec leurs sabots. Magnifique petit troupeau au poil noir luisant, on les laisse à leurs jeux et à leurs balades. On remplie le seau de champignons (coulemelles), on croise J. qui habite le plateau depuis plusieurs générations. On échange sur « l’élevage » des éoliennes qui fleurissent ici et sur les entreprises qui distribuent des primes aux communes accueillantes… Avec un billet, ça passe toujours mieux. Du coup ça finance ce que l’Etat ne finance pas ?
C’est entendu, J. mettra une boule de foin aux chevaux pour dépanner si la neige tenait la semaine prochaine avant de rapatrier tout le monde pour l’hiver dans les jours qui viennent. Le soleil reprend le dessus et nous descendons la route de toute la vallée avec une vue incroyable sur la Lozère en toile de fond. À vol d’oiseau, ce n’est pas si loin. Retour au « bureau », je taille la bavette avec M., impliquée à fond dans l’épicerie coopérative, j’ai une confirmation pour deux villages en Lozère et des gens sympas qui m’accueillent. Si on arrive à se capter, je vais en profiter pour retrouver un pote que je n’ai pas vu depuis 15 ans… Il faut continuer à parler de la démarche, de l’envie de rencontre pour fixer des dates à partir de la semaine prochaine. Il y a des messages sur mon répondeur, faut que je monte sur le coteau d’en face pour les écouter, il n’y a que là que parfois, je capte.
Le soir, je rejoins C. qui va à une conférence gesticulée en ville - « Une autre Histoire », jeudi 15 octobre à Marseille pour les curieux – sur l’enseignement de l’histoire à l’école et le duel entre méthode et contenu. C’est très bon, vivant, bien joué, construit, je commence à en avoir vu quelques-unes, de ces formes d’expression et d’éducation populaire, j’y trouve souvent le moyen de ranger mes idées sur des sujets variés que je ne maitrise pas et où je sens pourtant qu’il y a un enjeu pour nos combats.
Encore du beau temps ce matin. Je me lève avec le soleil qui débarque sur la vallée. Les nouvelles du pays ne sont pas bonnes. Covid, police, misère, chômage, j’ai l’impression qu’ils me parlent d’une autre planète. La forêt est tellement tranquille, l’eau du ruisseau est abondante, les châtaignes vont tomber, les trois dernières sècheresses ont fait du tort mais il y a un léger mieux cette année. Je pense aux miens et un coup dans l’estomac me rappelle que c’est bien ma planète, celle où j’ai des enfants, des amours, des amis, des frères, des parents…
Ils ont fuit Rouen. Ils m’accueillent dans leur salon, y’a des enfants très jeunes et quelques amis. C’est très intime, presque en conformité avec les instructions gouvernementales, c’est moins dangereux que dans le RER en tous les cas, et magnifiquement chaleureux. Ils me racontent le nuage noir, l’odeur, la proximité avec l’usine Lubrizol, leur décision immédiate de quitter la ville, valises, enfants, décollage. Ils ont trouvé refuge dans le coin, dépannés par un copain qui vit ici. « Je ne pensais pas que l’on pouvait y vivre. Pour les vacances, oui, mais je trouvais ça vraiment isolé. » Aujourd’hui ils projettent d’y rester deux ans et ce qu’ils y ont découvert et ceux qu’ils ont rencontré les enchantent. « Le rythme, l’humanité, la chaleur, l’entraide. » Évidemment, je ne vous raconte pas des cracs, et moi qui suis là depuis 8 jours maintenant, je confirme leurs dires, et je relais le message…
Il y a un rocher à 20 minutes de marche où je capte avec le téléphone, ça me fait ma petite balade du matin. Le « magnétisme » y est remarquable paraît-il, en tous les cas, le réseau téléphonique est presque accessible. Je m’y installe pour envoyer deux SMS et écouter mes messages sur le répondeur. La vue est splendide, je note deux idées de chansons, puis, je profite. Je chante ce soir, demain, après demain, les rencontres se succèdent. J’ai même mangé avec un chasseur et parlé de la disparition des petits gibiers. Lapins, lièvres, perdreaux, on est triste tous les deux et il m’explique comment faire pour les réintroduire, mais c'est pas gagné… Je vais encore passer des frontières et parler avec des gens que je n’aurais pas rencontrés sans ce petit périple. J’avais prévu mon casse croute, mais c’était sans compter sur l’hospitalité du pays. Je mange chez M. et A. qui me cueillent sur le chemin.
J’ai sorti la guit. sur la terrasse de la boulangerie. Deux copains font la pause du soir. Voilà un petit moment que je traine par là, j’explique ma démarche, je chante trois chansons, le contact est bon. Jusque là, ils vivaient en camion. Le site, le boulot, la douceur du climat et la possibilité de participer à ce qui se décide, à ce qui se passe les a arrêté là : « Y’a deux ans, tu m’aurais dit que je serais adjoint au maire ! » Un grand éclat de rire sort du gaillard, dreadlocks et cigarettes à rouler. « On a fait un festival, punk, pour des centaines de gens qui n’en pouvait plus du confinement, on prépare la saison pour les enfants, 14 spectacles au programme dans un village de moins de 300 habitants… et 17 élèves dans l’école… Tu vois le ratio pour les villes de 150.000 et la pauvre « saison culturelle à destination du jeune public », je pense à ma ville et je me dis que nos élus sont vraiment des branquignols !!!
3 mn le pouce en l’air et une voiture s’arrête. Je crois bien que c’était la première. On discute un brin puis le conducteur propose de faire un détour de 10 bornes pour me déposer à destination. Au milieu du village il y a une bibliothèque à l’air libre. Servez-vous, déposez. M.L. vient me prendre. On vide son coffre à la recyclerie puis on retrouve petit à petit les copains qui participeront à la soirée. C’est la maison d’un des trois petits cochons, celle tout en bois. Maison chaleureuse, gens chaleureux, soirée hors du temps. La maison tout en bois, c’est le moyen de passer une étape, pour refaire un projet adapté à la situation m’explique mon hôte : « Ici, on fait des graines, puis avec une poignée de copains on s’installe pour cultiver. » Après le repas, je chante, l’écoute est au top, je peux faire une heure et demi sans pause, avec des intensités variées et le grand tour… On grignote à nouveau, puis un des convives sort un jeu de cartes, after magie ! Tous les artistes sont dans cette situation, avec leurs tours dans les poches et à la recherche du public. Les salles sont fermées, tous les petits lieux ne peuvent pas respecter les normes, alors on revient au coin du feu, la veillée, une histoire, des chansons, un tour de carte. On voit bien qu’on n’avait pas oublié, on sait toujours faire et c’est délicieux !
M.L. gère un accueil confort pour le saltimbanque. On passe boire un café pour une histoire d’accordéon, les guitares sortent en plein jour, les passants me demandent une chanson, un bol d’air, un sourire, c’est une denrée rare. On passe acheter du pain et de la brioche. Le boulanger monte une pergola et plante des arbres pour dans 50 ans. « C’est très sérieux, c’est pour les suivants… ». On zigzag dans la montagne pour atteindre un village et son bar associatif. Les maisons sont en forme de bogues de châtaignes, c’est un projet HLM, les gens finissent leur maison eux-mêmes selon leur besoin, tout le monde paie le même loyer… Je retrouve l’adjoint au maire du dernier concert… C’est festif, sous les étoiles, un brasero, des châtaignes, une soupe brulante, une chanson par-ci, une par-là, reliant les petits groupes qui discutent.
Un peu de route avec mon copain voyageur, un crochet par la Lozère, c’est moins haut, mais c’est très beau aussi. Je suis le cadeau d’anniversaire ! Quand je vous dis que la chanson devient une denrée rare ! Très belle écoute, ça tombe à pic, on est chez des révoltés, des travailleuses et travailleurs du social, des gens qui s’aiment, qui prennent soins des autres. Ce sont les héros de mes chansons, je suis bien heureux de les rencontrer à nouveau, incarnés dans ces visages amicaux. Toujours un soleil radieux.
Il pleut. Les parfums sont plus intenses. Le retour vers l’Ardèche en camion, par un col à 1200 mètres, en pleine nuit dans un épais brouillard n’a pas entamé la confiance que nous avions en notre conducteur. Chaque épingle à cheveu a été négociée avec talent en écoutant un très vieil album et pour moi inédit de Jane Manson… J’ai prévenu que je me pointais de nouveau, rien n’est plus simple, on m’attend, on me réchauffe une casserole pour le diner, je suis accueilli comme dans un roman, ou comme dans un rêve. Les ricochets seront plus rares que la semaine dernière. Là, il faut reconnaître que la crainte de se rassembler, de bouger vient gripper quelque peu la mécanique du troubadour.
La vie continue. Je suis convié à l’atelier « chorale ». Un petit groupe réunit par K. répète des chants du monde. Je serai un soutien éphémère pour les voix d’hommes. Le niveau, la concentration, l’intensité du travail et le résultat m’enchantent. Je suis invité à diner de l’autre côté de la route, un vrai calendrier de ministre. On cause chanson bien sur, mais aussi politique, agriculture, paysannerie, abeilles, élevage, eau, puis, M. et A. me racontent leur installation dans les années 70…
À la boulangerie, où je me connecte pour entrouvrir une fenêtre sur le monde et pour communiquer avec les proches, je suis désormais toujours avec ma guitare et les clients ont droit à une chanson… puis il faut trier les poireaux, on me met un couteau dans les mains, le fournil est en pleine activité, au boulot ! S. et C. sont enthousiastes. Depuis le concert chez eux, ils passent le disque en boucle. On est heureux de se retrouver, on fait des projets : « - Dans 6 mois, tu chantes à l’Olympia ! »… S. est vraiment très enthousiaste !
En vrac, parce que le déroulement du temps de ces derniers jours a subi une accélération qui brouille mes souvenirs même des évènements les plus récents. Comme effrayé par le manque à venir, j’ai fait des provisions de caresses, celles qui effleurent le cœur.
Au fournil, un des six boulangers est une boulangère. L. s’est arrêtée là après une vie itinérante avec un four nomade ! De place en place, dans les écoles, on trouve du bois, on fait le feu, on fait son pain, on part du blé, passant par le moulin, on pétrit, on cuit, on déguste, on apprécie… « - Le four ? Je l’ai donné à des jeunes pour passer la main. »
J’ai dîné au château. Les dépendances étaient en ruines. Le bâtiment principal a été abandonné puis pillé, mais réinvesti par un couple de passionnés transformant des sommes astronomiques en pierres accueillantes. Je ne l’ai vu que de nuit, il faudra que j’y retourne pour contempler la vue sur les terrasses de la vallée. C’était une sombre nuit sans étoiles mais la lumière brillait à l’intérieur. Le gardien du site (père de neuf enfants), et la famille qui vit là aujourd'hui se sont relayés pour recréer l’espace intérieur de ce bâtiment sur trois étages dont le toit et les paliers étaient effondrés. « - Tout est récupéré. Les poutres que tu vois là sont des arbres tombés juste à côté. Les fenêtres, les portes, le bois, les parquets, le carrelage, etc.… tout revit une deuxième fois ici. » Le résultat est surprenant, on dirait un bateau et ses coursives. Pour faire comme tout le monde, en plus du boulot et de la retape de leur maison, ils ont une passion des plus banales : faire des road trip en mobylette dans toute l’Europe…
Oui, j’ai traversé une constellation de personnages étincelants : j’en sais un peu plus sur M. G., médecin de campagne à la retraite qui s’est tant éclatée dans son métier, parcourant les hameaux pour les patients moins mobiles et accompagnant la moitié de la vallée dans les aléas de la vie - sur A. qu’on peut déranger la nuit pour aider à mettre bas l’ânesse qui souffre d’une couche difficile, deux mandats de maire et un sommeil difficile - sur F. qui organise sur le plateau, dans son pré, un festival rock sur une scène en palettes - à propos de G., marin qui a « roulé sa bosse » un peu partout et qui t’en cause des plateformes pétrolières, des puissants, des mafieux ou des douceurs d’un monde asiatique qu’il affectionne - sur T. un photographe révolutionnaire - puis H. un authentique beatnik de 70 ans qui fait du vin - J. qui a vécu 15 ans dans sa voiture avec une guitare et un répertoire de chansons drôles et/ou acides - L. qui chante façon « bulgare » le jour et veille la nuit - M. qui s’engage dans les projets, changeant de vallée, changeant LA vallée, laissant derrière elle, les emplois qui permettent de rester vivre ici - sans oublier C., celui qui porte un nom iranien, Indien né en Hollande, animant la place où les rivières se rencontrent…
Je chante dans le village le plus haut, juste avant la soirée cinéma, c’est le dernier jour avant le couvre feu. C’est une dernière chanson, un au revoir, pas un adieu. Mon périple n’a pas de fin, c’est une pause. On a rendez-vous au printemps pour faire ce qui devient si difficile à faire, pourtant indispensable, essentiel, naturel : se retrouver, se rencontrer, chanter, s’aimer.
Episode cévenol : journée de pluie intense, orages et grêle. Je chauffe l’ambiance pour l’accueil des voyageurs qui arrivent pour le W.E. On m’a confié l’instauration de la chaleur, je monte le bois et allume le poêle dès le matin, quand ils arriveront, la maison sera douce et je serai sur le départ. Ça me fait bien plaisir d’être à l’accueil moi qui était accueilli il y a presque 20 jours. Le ciel et les couleurs d’automne me jouent un dernier feu d’artifice et son bouquet final. Je n’ai rien écrit jusqu’ici, ce n’est jamais automatique, mais l’émotion est si forte que la traduction en chanson est libératrice. Les amis, merci pour ces moments inoubliables, toutes et tous, pardon d’être si incomplet, les mots ne sont pas assez grands pour faire le tour de l’Ardèche et de ses habitants.
Pluies cévenoles
Va ! écourtons les adieux
Tu reviendras dans la vallée
Là, toujours brûle le feu
Et ton repas et ton coucher
Va ! Tes larmes sont inutiles
La pluie inonde la vallée
Vois ! Le ciel fait grise mine
Et la rivière va déborder
Pluies cévenoles
Vagabond, reçois ton obole
Pluies cévenoles
Compagnons, la rivière est folle
Nos cœurs ni ne connaissent
La sécheresse ni la tristesse
Emporte la joie de vivre
Nos greniers sont emplis de vivres…
Va ! écourtons les adieux
Tu reviendras dans la vallée
Là, toujours brûle le feu
Et ton repas et ton coucher